La fleur des mots... Patrice Guirao

Nouveau : La trilogie adaptée à l'écran...

« France Télévision s’intéresse fortement à la production d’une série de six épisodes de 52 minutes sur les deux premiers tomes de Al Dorsey ». Cette révélation, c’est Patrice Guirao, l’auteur des romans mettant en scène ce jeune détective privé, qui nous l’a faite, lundi matin, lors d’une interview exclusive accordée à Radio 1. Une série dont les acteurs seront également des Polynésiens !

Al Dorsey, c’est le nom de ce détective privé né de l’imaginaire de Patrice Guirao. Si le récit de ses péripéties polynésiennes a enchanté les lecteurs des trois premiers tomes de cette future pentalogie, les téléspectateurs ne devraient pas tarder à découvrir l’univers de ce jeune métis un peu naïf et avec lui la Polynésie qu’affectionne tant Patrice Guirao. Une très bonne nouvelle pour l’auteur à succès qui, en dehors de ses polars, est plus connu pour avoir écrit les textes des plus gros succès de la chanson française des deux dernières décennies et plus particulièrement ceux des plus grandes comédies musicales de ces dernières années. Patrice Guirao qui a donc bon espoir de voir ses deux premiers romans adaptés à la télévision, mais surtout de les voir jouer par des Polynésiens : « Tout sera tourné à Tahiti et tous les rôles seront tenus par des Polynésiens ».


En attendant, le quatrième tome des péripéties d’Al Dorsey, Tu vois, devrait sortir début 2016 aux éditions Au vent des îles. D’ici là, c’est un autre polar, plus noir, que Patrice Guirao s’apprête à sortir en fin d’année.

Une trilogie « noir-azur » qui décoiffe : « Crois-le », « Lyao-ly », « Si tu nous regardes » de Patrice Guirao (Editions Au Vent des îles)


4eme opus d'Al-Dorsey le détective de Tahiti : Tu vois !

La trilogie d’Al-Dorsey était déjà un régal et puis voici ce 4eme opus qui vient parachever cette œuvre. "Tu vois" est un vrai roman, rempli de rebondissements où chaque page est un petit chef d'œuvre. Des descriptions à couper le souffle, parfois loufoque, parfois pure poésie. Amalgame improbable et miraculeux. L'auteur sait jouer de la  magie du verbe comme personne. Richesse incandescente. Les éléments, la Nature, leurs colères, nous offrent des spectacles époustouflant. On n'imagine pas combien la pluie peut devenir enchanteresse sous la plume de Patrice Guirao. Parlant de Polynésie, et de Tahiti, on imaginerait plutôt un déferlement de soleil ! Mais c'est la pluie qui tient la vedette. La pluie qui en rythme la musique. Avec ça et là des réflexions existentielles, mi figue, mi raison, pertinentes, imparables... Une maitrise jouissive de l'écriture. 

 

Quant à l'histoire ? Elle est échevelée, picaresque, percutante, inattendue, plus riche d'une page à l'autre, emportée par le tourbillon d'une imagination puissante, jamais sérieuse et pourtant profonde et touchante. On retrouve la délicieuse Mamie Gyani, le pittoresque Toti égal à lui-même, Sando, l’amoureux caméléon, la magnifique égérie Lyao-li, et puis, parmi d’autres, une nouvelle venue, gnome échappé d’une BD d’horreur (la pauvre) : Marie-Thérèse ou Miss Morgue au « pawler savouWeux » et aussi une petite fille à la tête de Koala (en tous cas, je le visualise ainsi !).  Et oui,  ce livre se lit mais il se regarde et il s’entend !

 

Un extrait parmi mille : « La pluie a cessé. Le ciel est lavé. Les étoiles s’ébrouent. La mer se lisse. Même le sable a pris des reflets bleus, métalliques (…) Nous marchons à pas feutrés vers la plage devant la maison. Elle a retiré ses chaussures et posé sa tête sur mon épaule. Nous sommes le monde. La première vie. Le dernier souffle de l’univers. Le reste est néant. (…) Tous sont restés dans une dimension qui n’est plus la nôtre. Nos silences se sont unis et parlent entre eux de notre amour. Les mots se sont tus ». (P 219). Un petit dernier, P. 208 : « (…) et je me suis plongé dans l’enfer de la mort, celui des champs de bataille et de l’incommensurable connerie de ceux qui les font labourer à la pointe des baïonnettes, aux éclats d’obus, à la grenade, aux lance-flammes, au gaz, aux mortiers, aux armes lourdes, aux armes légères, à l’industrie de la mort et les ensemaillent d’âmes innocentes. Je viens, par soir de cafard, me recueillir sur leurs tombes, mais uniquement par soir de grand cafard très irréductible, voire indestructible. Car je dois reconnaître que, dès que l’idée de venir faire un tour sur la pierre tombale de mon père commence à germer dans mon cerveau rongé par les blattes, cela extermine presque toujours la bestiole. Je n’aime pas pleurer. J’aime tellement peu pleurer que je dois avoir un lac de larmes au fond de moi ».

– Editions Au vent des îles (2018) – 404 Pages – 19€

 

 

En plus d’être une lecture vraiment divertissante, divertir sans se prendre au sérieux étant le mobile apparent de l’auteur, on s’y dépayse vraiment.

Avec  Crois-le , le premier tome, on pénètre ce monde sur la pointe des yeux. On découvre. On n’a pas encore ses habitudes. On se fait au parler local, aux paysages, à la culture. Ici tout est du cru. On ne sent aucun effort d’appropriation du lieu par l’auteur. Il se fait juste le scribe de son imagination débridée qui s’est alimentée goulûment à sa curiosité, ses observations, sa propension à l’auto dérision.

 Si Patrice Guirao est l’enfant adoptif de l’île polynésienne, c’est une adoption réussie. Pas de marâtre, pas de rejeton. Et si on veut mieux ressentir ce lien, eh bien on se penche sur le personnage de Mamie Gyanie, la belle marquisienne, portrait regorgeant d’amour, échappée à la fois  d’une toile de Gauguin et de la mythologie propre à l’auteur : elle est la mère et elle est l’île. L’île que chacun porte en sa nostalgie intime. Mamie Gyanie, (mère du héros anti héros, le détective privé Al Dorsey) est pour moi un des personnages les plus attachants, les plus « restitués » de la trilogie. Et sa philosophie, tout un chacun pourrait l’adapter à sa propre vie. Cette sagesse suprême est  prononcée en roulant délicieusement les rrr : «  Mon Doudou y faut pas que tu crrois tout ce qu’on te dit. Juste tu crrois ce qui te fais plaisirr ».  Si on adoptait cet adage, plus de guerre d’idées, de religion, etc.

Bien sûr, ça n’empêchera pas le ment’Al de faire son compliqué et de chercher le pourquoi du comment mais tout est dans la façon de l’exprimer.

Donc on suit l’intrigue policière (que je ne vous dévoilerai pas), on se délecte de l’humour, mais aussi de l’écriture car mine de rien (ou de crayon !) il y a une écriture. C’est une écriture paresseuse. Je m’entends : elle prend le temps, s’attarde, s’étale, nous prend par la main pour faire le tour du propriétaire, nous fait désirer, tout alangui, un peu de fraîcheur… Elle est couleur locale, elle aussi. Et pourtant, universelle…

 Et j’ai l’impression que parfois Patrice Guirao oublie son idée initiale de simplement distraire le lecteur pour se laisser aller à nous donner des pages magnifiquement écrites : il chante et danse comme personne la pluie, personnage quasiment incarné, ou  la mer, ses couleurs, ses odeurs, ses mugissements, la mer qui sait l’apaiser quand tout va au plus mal. La mer, sa nécessité (Al’ui ou à Al ?) (Pour comprendre ces jeux d’Al, faut connaître l’ami d’enfance Sando, devenu commissaire à l’issue du premier tome…).

Mais aussi la végétation luxuriante…  

L’interpénétration de la mer et de la terre  recouverte d’une végétation déclinée comme la mer  sous toutes ses couleurs, ses odeurs, ses petits noms, suggèrent à merveille ce lieu que je ne connais pas,  me donnant l'impression d'y évoluer en chair et en os tout en me rendant addict !

Patrice Guirao cultive un art délicat : cette façon qu’il a de saupoudrer la poésie, les idées de générosité et de compassion : avec légèreté et naturel, comme par inadvertance. Sans se prendre au sérieux ni jouer les gourous. Érudit mais pas intello. Ça, ça fait du bien !!!

 Je pourrais vous recopier des pages entières mais non, vous n’aurez qu’à vous procurer les livres et rendez-vous tiens à la page 101/102 de « Crois-le » ou pour rire encore des heures après, à la page 117, ceci juste pour donner un exemple ! 


« Crois-le » terminé, on est devenu familier de Toti, Sando, Al-lias Doudou, Mamie Gyani, Lyao-Ly,  pour les principaux. Ah, j’oubliais Baldwin, le Chihuahua de Lyao-ly …

On aborde alors « Lyao-ly », le 2ème livre, en passager non plus clandestin mais affranchi. On est du bord, on tutoie les personnages nous aussi. En fait, on n’a plus envie, mais plus du tout, de quitter la pirogue ! Et on s’embraque pour 475 pages de plus qu’on va engloutir en « brûlant l’huile de minuit » deux soirs de suite !

 Lyao-Ly, c’est l’amour fou d’Al. Pour elle, il ira aux enfers et il la ramènera son Eurydice… Mais, comment vous dire ? J’attends le troisième tome « Si tu nous regardes » donc je n’ai pas la conclusion de cette aventure. Machiavéliquement joueur, Patrice Guirao termine son 2e livre par un cri d’angoisse de notre détective privé. On reste les sourcils en suspension et la bouche sèche. On lui en veut terriblement (à l’auteur) de nous laisser en plan et on attend le passage de la poste, parce que trouver les livres d'  Au Vent du Sud, en France, c’est pas de la tarte. Amazon s’approvisionne peu ou prou, tout comme la Fnac. Mais on peut quand même si on habite dans ces villes les trouver  chez Sauramps à Montpellier ;  Mollat à Bordeaux ;  Decitre à Lyon ;  Harmattan à Paris ; Espace Culturel à Hyères.


Aperçu du 3e livre (et on apprend à l’instant que deux autres vont suivre : youpiiii !!!) : « Si tu nous regardes » -

 « Ils sont tous là, Toti, Sando, Al, Mamie Gyani, les autres... et quelques cadavres. Les héros de «Crois-le !» et «Lyao-ly» se retrouvent dans ce troisième opus pour résoudre une double enquête qui s’annonce compliquée et dangereuse pour AL. Le ton y est toujours aussi décalé. La carte postale, déjà bien froissée dans les deux premiers volumes, est renvoyée au rang de carton d‘invitation. Et une invitation ça ne se refuse pas ! Surtout quand il s’agit de pénétrer au cœur d’un pays riche de sa joie de vivre, de ses spécificités cachées, de sa population multi ethnique attachante et de ce melting-pot de vies colorées. Le tout sans bouger de son fauteuil ou pour les plus chanceux les pieds en éventail dans un transat sous un badamier. Dans «Si tu nous regardes» Tahiti devient, sous la plume de l’auteur, une île d’aventure, une auberge espagnole où chacun apporte son repas pour le partager avec l’étranger qui vient y poser ses valises. Même si parfois il faut se méfier des plats qu’on ne connaît pas... »

En fait depuis la rédaction de ce commentaire, j'ai lu le 3ème volet et il faudra que je vienne vous en parler... Car la fête continue !

© Maïa Alonso

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Guirao

http://wn.com/patrice_guirao

Éléments de biographie

Patrice Guirao, né en 1954 à Mascara (Algérie), est un parolier et romancier français.
Patrice Guirao arrive à Tahiti en 1968. Il ne quittera l'île que pour poursuivre ses études en France à l'École nationale d'Aviation civile. Son diplôme en poche, il retourne exercer son métier « d'aiguilleur du ciel » sous ces tropiques qu'il aime tant. Quelques années plus tard, il entame avec succès une carrière de parolier sans pour autant abandonner son île.
Il enchaîne en toute discrétion les tubes et collabore avec des artistes tels qu'Art Mengo, Pascal Obispo, Calogero, Johnny Hallyday, Florent Pagny, Stanislas, Ute Lemper, Peter Kingsbery, Daniel Lavoie… Parmi ses chansons, on trouve : Ça ne Finira Jamais (J. Hallyday), Prendre Racine (Calogero), L'Important c'est d'Aimer (P. Obispo), Les Parfums de sa Vie (Art Mengo)…
En 2009, il se lance dans le polar avec le premier volet d'une trilogie : Crois-le ! (Et ce n'est pas fini puisque d'autres livres sont parus et d'autres le seront...)
Patrice Guirao a contribué à l'écriture des textes de plusieurs comédies musicales (souvent avec Lionel Florence), dont notamment "Les Dix Commandements", "Cléopâtre", "Le Roi lion", "Le Roi Soleil" et "Mozart, l'opéra rock".
Patrice Guirao vit principalement dans les îles...

Savoureux entretien sur Culture Chronique

ENTRETIEN AVEC PATRICE GUIRAO AUTEUR DE "CROIS-LE !" :

Pas facile d’obtenir un rendez-vous avec Patrice Guirao. Beaucoup d'intermédiaires, de tractations, d’annulations avant de rencontrer cette personnalité complexe. D’emblée il m’indique que nous aurons peu de temps. Tout de noir vêtu, il regardera sa montre à plusieurs reprises lors de l’entretien. Son œil d’aigle me scrutera longuement avant de répondre à chacune de mes questions. Il me rappelle, avant même que nous commencions, qu’il ne dira pas un mot sur son passé, et en particulier celui qui concerne sa carrière d’auteur de comédies musicales à succès. Je lui réponds que je n’en avais pas l’intention et il laisse juste tomber un laconique « Et bien, c'est parfait ! ». Le bonhomme n’est vraiment pas commode mais son excellent roman « Crois-le ! » à l’écriture « noir azur » s’est immédiatement fait remarquer par son originalité auprès des libraires et a fait entrer le polar dans l’ère « Pacifique ». 

 

Archibald PLOOM : « Crois-le ! »  est devenu  en quelques semaines un phénomène littéraire. C'est la première fois qu'un roman publié par une maison d'éditions tahitienne fait ainsi parler de lui !

 

Patrice GUIRAO : “Au vent des îles” est la plus importante maison d’édition francophone de la zone Pacifique. Et, bien que peu connues du grand public métropolitain, ses différentes collections consacrées aux spécificités de cette région font référence dans de nombreux domaines. Qu’elles aient trait à la littérature du Pacifique, à la culture océanienne, ou aux essais tant politiques que sociologiques, elles sont la représentation du rayonnement de la diversité des peuples et des cultures qui fait la richesse du monde pacifique. Avec cette nouvelle collection “Noir Pacifique” “ Au vent des Iles” espère pouvoir être présente dans l’esprit et le cœur de tous ceux qui ont l’envie de jeter un œil tendre et amusé du côté de ce saupoudrage d’îles et de faux continent qui piquettent l’océan pacifique comme une multitude de tâches de rousseur inattendues.

 

Pour l’Australie... la tâche de rousseur... c’est un peu léger, j’en conviens, mais bon, ça ne va pas chercher plus loin qu’un joli grain de beauté sur un camaïeu de bleus, l’Australie...!

 

Archibald PLOOM : Vos lecteurs sont de vrais amateurs de polars et tous affirment que vous avez développé un style vraiment original... Le vent des îles ?  

 

Patrice GUIRAO : Merci à tous ceux qui me créditent d’un style original. C’est certainement l’un des plus beaux compliments qu’on puisse faire à un auteur. Bien qu’un style sans adjectif m’aurait satisfait tout autant !

 

Comme vous dites “le vent des îles” doit certainement souffler sur ma plume, et du coup, il y a toujours des morceaux de corail, quelques algues sèches, deux ou trois noix de coco échouées, une demi-bouteille à la mer et une pincée de sel d’un vieux cratère endormi qui viennent se répandre sur mon clavier quand ce n’est pas une jolie sirène cul-de-jatte

 

Archibald PLOOM : Al Dorsey, votre héros, est détective privé ! Pourtant, c'est un garçon qui n'a rien de l'ancien gendarme reconverti dans la filature de maris volages !

 

 Patrice GUIRAO : Trop jeune pour être un ancien gendarme, même si la retraite dans cette profession peut vous cueillir à la fleur de l’âge, et trop amoureux pour avoir envie d’être celui par qui le malheur prend des droits, Al est entré dans la profession un peu comme on entre à la poste. 

 

Car il y a ceux qui entrent dans les ordres et ceux qui entrent à la poste...

 

On vient poster une lettre et on se retrouve pendant trente ans derrière le guichet à tamponner des timbres sur des enveloppes sans trop savoir pourquoi.

 

Arrive un âge où il faut bien se décider à travailler... Al, ne se connaissant aucune vocation particulière pour aucun type d’activité en particulier, a accroché sa pancarte avenue du Prince Hinoi comme on passe une annonce dans un journal pour chercher du boulot. Et ce qui devait arriver arriva… il en a trouvé.
Il faut bien reconnaître que dans la vie nous avons tous plutôt tendance à croire que les gens sont ce qu’ils prétendent être sans mettre la chose dite en doute. Est-ce qu’un seul d’entre nous a jamais demandé à son médecin de lui présenter les résultats de ses examens (pas sanguin, les autres, ses notes en anatomie par exemple ou bien celles qu’il a obtenues en TP ?)? Non !

 

Nous mettons nos vies entre leurs mains sans nous poser plus de question. Pour cette même raison, il suffit aujourd’hui encore de mettre un habit pour faire un moine. Un rapide coup d’œil sur une quelconque émission de télé vous le confirmera.

 

Plutôt que de devenir chargé de compte à la Banque de Tahiti, Al Dorsey a enfilé un costume de privé trouvé entre deux shorts dans son armoire, et les clients se sont présentés... Le besoin créant la fonction... tout naturellement Al est devenu “le détective privé des tropiques”.  

 

Archibald PLOOM : Parfois, pour paraphraser Shakespeare, certaines personnes s'imposent un destin. Pour Al Dorsey, on a plutôt l'impression que c'est le destin qui s'impose à lui. 

 

Patrice GUIRAO : C’est bien là toute la question. L’œuf ou la poule, la poule ou l’œuf. Sommes-nous les artisans de notre destin ou bien est-ce le destin qui nous dicte notre vie ? Est-ce parce que nous sommes sur terre que nous accomplissons notre destin, ou est-ce parce que nous avons un destin à accomplir que nous sommes sur terre ? A priori, Al ne se pose pas la question. Lui, il a son loyer à payer... et ça, ça remplace tous les destins !

 

L’illusion de détenir les clés de “l’événement’ n’est qu’une illusion. Al n’a pas d’illusion, il a des dettes. 

 

Archibald PLOOM : Dès le premier chapitre, le lecteur s'aperçoit que l'univers polynésien n'est pas un décor exotique que vous utiliseriez comme toile de fond. Non, le roman est vraiment tissé sur une trame foncièrement polynésienne... 

 

Patrice GUIRAO : Al Dorsey est né à Tahiti d’une maman Tahitienne et d’un papa issu d’une vieille lignée de la noblesse Française. Il connaît son pays comme on connaît le village qui nous a vu grandir. On sait très bien que Monsieur l’adjoint au maire, bien que très rigide et respectable dans son costume trois pièces lors de la cérémonie de l’amnistie devant le monument aux morts en présence de Monsieur le conseiller de région venu pour la circonstance, joue à touche pipi avec P’tit Louis le cantonnier de la commune et néanmoins cousin du boulanger Marcello Tarini. 

 

 On le sait, mais on est ému quand même quand il dépose une gerbe de fleurs au pied de la stèle érigée en mémoire de nos chers disparus tombés sous le feu de l’ennemi. C’est un peu ce regard que porte Al Dorsey sur ‘son village’. Un regard de l’intérieur, qui sait s’émouvoir et rester lucide. Toute carte postale cache ce qu’elle laisse hors champ. Al Dorsey se balade hors champ et parfois traverse la carte postale.  

 

Archibald PLOOM : Vous avez souhaité que votre roman soit suivi de deux autres… Pourquoi une trilogie ? 

 

Patrice GUIRAO : Parce qu’un roman de mille pages, c’est un peu indigeste et lourd à emporter sur la plage, alors que trois de trois cent cinquante passent mieux... 

 

Archibald PLOOM : Il y a un vrai travail sur le langage autochtone dans « Crois-le ! ». Il y a, pour le lecteur, un véritable plaisir à découvrir ce « parlé » local…

 

Patrice GUIRAO : Les spécificités de la langue française mitonnées à la sauce polynésienne sont des gourmandises tant pour le palais que pour l’oreille, voire pour l’esprit dans l’envolée des formules : “dormir les yeux” ou “baigner la mer” sont autant de rêves éveillés qui enrichissent notre vision du monde, pourquoi s’en priver?

 

Archibald PLOOM : Que représente la Polynésie pour vous ? 

 

Patrice GUIRAO : Le petit bout du monde d’où le reste du monde est le bout du monde.

 

Archibald PLOOM : Comment vous sont venus les personnages de Al Dorsey et de Toti ? 

 

Patrice GUIRAO : En truck. Il n’y a pas de train ni de métro là-bas. C’est le truck ou l’auto-stop. 

 

Archibald PLOOM : Vous bottez en touche ! Bon reprenons : La Polynésie, ce n’est tout de même pas une idée qui vous est venue comme ça, il y a des raisons intimes… 

 

Patrice GUIRAO : Evidemment. Dans d’autres pays, il y a toujours quelqu’un pour vous rappeler à l’ordre comme vous venez de le faire, et, comme vous le savez, ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable à vivre alors, comme je ne voulais pas que mes personnages puissent, à peine mis au monde, subir la déconvenue de constater que Disney était mort, je les ai propulsés sous les tropiques, sous le ciel modéré de Tahiti, mais aussi mordoré à la tombée de la nuit, là où j’ai moi-même grandi. Là-bas, les journalistes s’emportent moins... C’est peut-être dû à l’alcool... qu’ils ne boivent pas. 

 

Archibald PLOOM : « Crois-le ! » on ne peut pas dire que ce soit un polar noir, plutôt azur… 

 

Patrice GUIRAO : Vous voyez, vous aussi vous finissez par vous y mettre ! “Un polar noir, azur”... mais, ça, c’est de la poésie! De la poésie comme je l’aime ! Avec des voyelles et... peu de voyous, comme dans ce polar. Bien sûr, de noir, ce polar n’a que la couverture... C’est un polar qui coule au rythme des rivières, comme ces os que les courants emportent entre deux racines arrachées à la berge. On s’y promène comme dans un magasin de jouets où les squelettes sont en plastique. 

 

Archibald PLOOM : Ne mangez pas autant de chips, ça donne soif … Cet entretien me rappelle une conversation avec Bukoswski, à l’hôtel Lutetia, fichu caractère comme vous, et  il avait fini par vomir partout… Je vous aurai prévenu… Je reprends le fil de l’interview : auteur de polar, que cela vous évoque-t-il ? 

 

Patrice GUIRAO : Si vous aviez autre chose à me proposer que ces chips à l’huile frelatée ce serait avec plaisir, mais il n’y a que des chips sur votre table même pas une olive ! Entendons-nous bien, ce n’est pas un reproche, c’est un constat. Chez nous, dans les îles, on vous aurait servi du poisson cru, du cochon de lait cuit au four tahitien, du uru, des taros, des bananes crues ou cuites, un peu comme les carottes chez vous. Et pour vous désaltérer, outre l’eau de coco directement bue à la source, quelques Hinano glacées vous auraient été proposées par quelques souriantes mamas. Oui, je sais, vous auriez sans doute préféré quelques jolies vahine, mais je vous assure que les mamas tahitiennes sont très sympathiques et dégagent une joie de vivre rare et qui vous ferait le plus grand bien en ces temps délicats où avoir vomi à l’hôtel Lutetia peut suivre jusque dans sa bière un auteur alcoolique, fut-ce un auteur charnière de la littérature américaine. Bacchus ait son âme ! 

 

 Toujours est-il que je vous remercie pour votre délicate attention. Votre comparaison avec Bukowski me flatte. Pensez ! Même s’il est vrai que de Bukowski vous ne m’accordez que le versant abrupt. Celui à 90 °. Je n’ai pas sa bouteille ! Il me faudra encore quelques cuvées de romans pour pouvoir prétendre me répandre sur vos chaussures, des Church quand même, et en faire la une des journaux. Vous portez des Church et vous m’offrez des chips ? Ben voilà, c’est ça être auteur de polar : partager un plat de chips en tong avec un chroniqueur en Church. Bon, c’est pas le tout ça, mais vos chips elles donnent soif. 

 

Archibald PLOOM : Certains esprits bien informés racontent qu’une série  télévisée réalisée autour du personnage d’Al Dorsey sera adaptée par France 2 ?

 

Patrice GUIRAO : Absolument et elle ne devrait pas tarder a être programée…

 

Archibald PLOOM : Une dernière question noire… Quels auteurs de polars lisez-vous, Patrice Guirao ?  

 

Patrice GUIRAO : Tous ne sont pas forcément noirs... mais j’aime bien, John Grisham, Michael Connelly, John Burdett, Harlan Coben et... Alphonse Allais. 

Notre homme est reparti dans le noir d’encre de la nuit parisienne. Tous les réverbères étaient éteints ce soir là. Bizarre ! C’est la première fois que j’assiste à pareille extinction des feux dans une rue de notre capitale. Patrice Guirao est déjà loin. Pour lui Paris n’est qu’un lieu de transit avant le grand retour sous le ciel immense du pacifique.

http://www.culture-chronique.com/chronique.htm?chroniqueid=1702&typeid=0