Roger Vétillard, historien

Le prix d’Histoire Ernest Roschach de l’Académie du Languedoc 2016 couronne l’ensemble de son œuvre.

Roger Vétillard, spécialiste de la guerre d’Algérie est l'auteur de plusieurs ouvrages faisant référence, "Sétif, Mai 1945, Massacres en Algérie" Ed de Paris et " 20 Août 1955, un tournant dans la guerre d'Algérie" Ed Riveneuve.

En 2016, Roger Vétillard publie deux ouvrages : « Un regard sur la guerre d’Algérie » (Riveneuve éditions) et « La mort mystérieuse du Colonel Herpert, le 15 février 1945 à Constantine » (Editions Atlantis).

Ses travaux lui ont valu d'être élu en mars 2014 au Conseil Scientifique de la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d'Algérie, organisme officiel créé par le gouvernement français et d'être sollicité régulièrement par le Centre de Documentation sur l'Histoire de l'Algérie (CDHA) sis à Aix-en-Provence pour coordonner les recherches et permettre d'exploiter les fonds qui y sont logés.

Conférence de Roger Vétillard

prononcée le 7 novembre à Paris dans le cadre d'un colloque de l'Association des Historiens qui a pour thème : la dimension religieuse de la guerre d'AlgérieL' Algérie au risque de l'Histoire. La dimension islamiste de la guerre d'Algérie (34'36)

Roger Vétillard est né à Sétif. Il a donc très tôt entendu parler de ce qu’il est convenu d’appeler, les massacres de Sétif et de Guelma.

Un beau jour, las d’entendre le récit d’une histoire falsifiée à force de manipulation politique et d’occultation idéologique, ce médecin de Toulouse décide de mener sa propre enquête historique. Pendant près de 7 ans, il va consulter les archives françaises, algériennes, anglo-saxonnes, et aller à la rencontre de nombreux témoins. Le fruit de ce travail est concentré dans un livre objectif et rigoureux « Sétif, mai 1945 : massacres en Algérie » (Éditions de Paris).

Avec ce livre, Roger Vétillard est bien loin des polémiques dont nous avons été habitués ces dernières années. Et c’est de façon méticuleuse qu’il restitue à l’histoire la complexité et les nuances dont personne ne devrait la priver.

(...) Roger Vétillard précise, que lors de ce 8 Mai 1945, ce sont les massacres d’Européens qui ont engendré la répression des manifestants indépendantistes. Un élément que l’on a tendance à occulter…

Publié le 24 mai 2010 -

Riposte Laïque : Quand avez-vous eu l’envie de faire un livre d’historien sur les massacres de Sétif et de Guelma ?

Roger Vétillard : J’ai décidé de m’intéresser d’un peu plus près aux massacres de Sétif et de Guelma après avoir visionné en 1995 sur ARTE un film documentaire réalisé par Medhi Lallaoui et Bernard Langlois « Les Massacres de Sétif, un certain 8 Mai 1945. » J’y ai vu un certain nombre de témoignages que je savais erronés. Je me suis donc mis au travail. Au bout de 7 ans, j’ai abouti à ce livre que j’ai présenté à des historiens et qui ont salué sa rigueur scientifique. Guy Pervillé, professeur d’histoire contemporaine à Toulouse- le Mirail, et l’un des meilleurs spécialistes de l’Algérie, a accepté de rédiger la préface, et j’ai obtenu en 2008 le prix de l’Académie des sciences d’Outre-mer.

Riposte Laïque : Au cours de vos recherches avez-vous constaté des approximations dans la façon dont les historiens ont à raconter ces événements ?

Roger Vétillard : Oui bien sûr, chez certains d’entre eux, et j’en cite quelques exemples dans mon livre. Mais le plus déplorable c’est l’utilisation politique et militante qui est faite de ces événements. Parfois on en oublierait presque de préciser que ce sont les massacres d’Européens qui ont engendré la répression.

Riposte Laïque : Le 8 Mai 1945 le peuple français s’apprête à fêter la victoire des alliés et un peu partout des cérémonies officielles sont organisées. Pouvez-vous nous dire comment les choses vont se dérouler à Sétif, à Guelma et dans les environs ?

Roger Vétillard : Tout commence à Sétif. Là, comme dans d’autres endroits en Algérie, à la veille du 8 Mai, les nationalistes du PPA (Parti du Peuple Algérien) de Messali Hadj et de l’AML (les Amis du Manifeste de la Liberté) demandent dès le 7 mai à la sous-préfecture l’autorisation d’organiser une manifestation en dehors des cérémonies officielles. La sous-préfecture donne son autorisation à condition que celle-ci se déroule le matin, qu’elle soit pacifiste et qu’il n’y ait ni revendication politique, ni présentation du drapeau indépendantiste, contrairement à ce qui s’était passé quelques jours plus tôt à Alger, Oran et Bône lors des défilés du 1er mai. Les organisateurs s’engagent à respecter ces consignes.

Le 8 mai après la prière de 8h00, la manifestation des indépendantistes part de la Mosquée du faubourg de la Gare. Le cortège passe devant le collège où est encore présent le poste de commandement de l’armée anglaise débarquée en Algérie en Novembre 1942. Là, il est prévu qu’un photographe anglais filme la scène depuis la terrasse du collège, c’est ce qui explique que les manifestants brandissent à ce moment là leurs drapeaux. Des chansons en faveur de l’indépendance retentissent et des slogans pour la libération de Messali Hadj fusent. La police, après avoir pris ses ordres auprès de la sous-préfecture, intervient vers 9 heures devant le café de France en demandant aux organisateurs de respecter leurs engagements. Très vite la situation se dégrade. Des coups de feu sont tirés de part et d’autre. Une enfant de 9 ans qui passait à proximité de la manifestation est victime d’une balle perdue et le porteur de drapeau est lui aussi touché.

Riposte Laïque : Ces tirs peuvent-ils être interprétés comme une provocation policière ?

Roger Vétillard : Il faut dire qu’une insurrection était programmée depuis le mois d’Avril 1945. On ne peut parler de soulèvement spontané. Il y a de nombreuses preuves et de nombreux témoignages qui confirment cela, à commencer par les révélations de Mohamed Harbi et d’Annie Rey-Golzeiguer à propos de la tentative d’évasion de Messali Hadj depuis Reibell où il était assigné en résidence surveillée.

Il n’y a pas eu de provocation de la part de la police. Les coups de feu venaient des deux cotés. Et contrairement aux engagements qui avaient été pris, la manifestation n’était pas composée de manifestants désarmés. C’est ce qui explique aussi la rapidité et la violence avec laquelle les manifestants s’en sont pris aux européens. Dans un de leurs livres, l’anticolonialiste Yves Benot et le journaliste suisse Charles-Henri Favrot très proche du FLN, écrivent « Dans les 20 minutes qui ont suivi l’arrêt de la manifestation, 28 européens ont été tués dont 9 par armes à feu, 10 par armes blanches et les autres à coup de gourdins hérissés de lames de rasoir.  »

Il faut que je vous révèle un scoop qui figurera dans la prochaine édition de mon livre. Je sais, grâce à des témoignages sérieux, qu’il y a eu, dès 7h00 du matin le meurtre de Gaston Gourlier, le régisseur du marché aux bestiaux. On connait le nom de son assassin qui a précisé dans quelles conditions il avait tué Monsieur Gourlier et quelques minutes plus tard Monsieur Clarisse. Le colonel Bourdilla a su cela dès 7 heures le matin et donc il se doutait bien que la manifestation ne serait pas pacifique. Cela explique que l’armée soit en alerte, faisceaux formés, 2 heures avant d’intervenir, tant que le sous-préfet ne lui en donne pas l’ordre. Il faut souligner qu’il s’agit de 3 compagnies du 7ème RTA (tirailleurs algériens).

Riposte Laïque : Est-ce que cette manifestation était un appel au Djihad ?

Roger Vétillard : Non, la manifestation n’a pas initialement de revendication dijhadiste, même si sur le drapeau indépendantiste algérien figure la formule Allah Ouakbar. Ce n’est qu’après les premières arrestations que les insurgés en appelleront au Djihad. Il faut savoir que la religion musulmane a toujours été un élément important dans la lutte pour l’indépendance. La révolte des Kabyles, à la fin de la guerre de 1871, celle des Aurès à la fin de la première guerre mondiale se font sous le signe de l’islam et même la guerre d’indépendance surtout à partir d’août 1955.

Riposte Laïque : L’assassinat du maire de Sétif, Edouard Delucca, va fortement marquer les esprits. De nombreuses thèses circulent encore sur le véritable coupable. Que pouvez-vous nous dire sur ce meurtre?

Roger Vétillard : Nous avons tous les éléments depuis 1963. Le meurtrier est connu, il s’agit d’Hamda Noui un commerçant ambulant membre du PPA. Il a été arrêté, a avoué et été condamné. Après sa libération en 1963, il a officiellement déclaré qu’il était bien l’assassin d’Edouard Delucca le maire de Sétif. Le problème est donc résolu et ceux qui disent autre chose cherchent à maquiller les faits et la vérité.

Riposte Laïque : Comment va se dérouler la suite de la journée ?

Roger Vétillard : Après la manifestation, le sang coule. La foule se disperse et tout ce qui ressemble à un européen est agressé. Ces agressions feront en quelques minutes 28 morts, et près de 80 blessés graves dans la population européenne. Afin de ramener l’ordre, la police et la gendarmerie utilisent leurs armes. Selon les registres de l’hôpital de Sétif, il y aurait eu 33 morts musulmans. En l’espace d’une heure il y aura en tout au moins 61 morts, européens et musulmans compris.
A partir de là, la nouvelle de la répression va se répandre dans les environs de Sétif.

L’histoire dit, mais j’ignore si c’est vrai parce que je n’ai pas pu le vérifier, qu’un taxi est parti vers le Nord, pour annoncer aux populations que le Djihad était déclaré et qu’il fallait se révolter. Un des témoins que j’ai rencontré et qui était de Kherrata, m’a raconté que quand ils ont vu arriver le bus de Sétif criblé de balles, ils ont compris alors que le moment de l’insurrection était venu. Ils y ont vu un signal et ont attaqué Kherrata à ce moment là.

A Sétif l’insurrection n’a pas duré 24h, alors que dans les villages alentours elle va durer pendant 2 jours.
Le couvre feu est instauré à 13h00 et la cérémonie officielle qui devait se tenir dans l’après-midi est annulée. Il faut préciser qu’il n’y a pas eu à Sétif, contrairement à ce qui s’est passé à Guelma, l’instauration d’une milice.

Riposte Laïque : A Guelma, la manifestation des AML n’a pas reçu d’autorisation.

Roger Vétillard : C’est exact. L’atmosphère est tendue. Le sous-préfet est averti vers 13h00 des événements de Sétif. La manifestation officielle pour célébrer la victoire des alliés est maintenue. Elle se tient à 15h00, sous la protection de la gendarmerie et des automitrailleuses et se déroule sans problème.

C’est aux alentours de 17h00 qu’une manifestation d’indépendantistes démarre dans le quartier arabe situé à l’Est de Guelma. Le sous-préfet André Achiary décide d’intervenir lui-même. C’est un ancien policier, et il est en fonction depuis peu. Il n’a donc aucune notion de la déontologie de la préfectorale, et va agir plus en policier qu’en sous-préfet.

Molesté par les manifestants, André Achiary n’hésite pas à sortir son pistolet, et tirer en l’air. Les esprits s’échauffent, le porte-drapeau de la manifestation est tué par un policier musulman. J’ai rencontré ce policier. Il a été obligé de quitter l’Algérie dès 1946 parce qu’il était menacé. Prétendre, comme cela a été fait, qu’il a été tué par le préfet ou un gendarme est un mensonge. Il faut préciser qu’il n’y a pas eu d’Européen agressé à Guelma. Mais là aussi, comme à Sétif, dès que l’information sur la répression de la manifestation va se propager un peu partout à l’extérieur de la ville, les européens seront agressés. Il y aura près d’une vingtaine de morts.

Le couvre feu instauré, le sous-préfet décide, comme le permet la loi, de mettre en place une milice pour défendre Guelma. La plupart des hommes étant partis à la guerre, ce sont des hommes âgés et des adolescents de 16, 17 ans que l’on arme.

Une fois la milice créée, on commence par arrêter tous les gens susceptibles de provoquer des ennuis. Les adhérents des AML (Amis du Manifeste de la Liberté) dont les services de police possèdent les fichiers seront tous arrêtés. Il va y avoir près de 2500 arrestations. Un tribunal populaire est mis sur pied. Sur les 2500 prisonniers, 2000 seront libérés. Certains seront condamnés à morts, parfois sur des critères arbitraires.

Riposte Laïque : Cette milice va se rendre responsable d’un grand nombre de victimes ?

Roger Vétillard : Oui, sa responsabilité est indéniable. Mais ce qui s’est passé à Guelma n’est pas à l’image de ce qui s’est passé partout en Algérie. Or on essaie souvent de faire croire le contraire. Il est vrai qu’il y a eu des excès de la milice et que la répression de l’armée a été violente. Je pense aussi que la personnalité trouble et sulfureuse du préfet André Achiary explique beaucoup de choses.
S’il n’y avait pas eu ces excès à Guelma, on parlerait tout autrement de ce qui s’est passé le 8 mai 1945 en Algérie.
Car l’armée est intervenue dans la grande région de Sétif (l’équivalent de 2 départements français) dans tous les bourgs et villages qui étaient aux mains des insurgés, là où la vie des européens était menacée, où des dizaines d’entre eux avaient été tués, des femmes avaient été violées. Il n’y a pas eu de représailles là où il n’y a pas eu d’insurrection. Il faut bien insister ce point. L’artillerie n’a pas été sollicitée, l’aviation a souvent utilisé des leurres au lieu de bombes, la marine a bien des fois tiré à blanc (les livres de bord des navires notamment du Duguay-Trouin en attestent). Tout cela non pas pour dire que la répression a été peu importante, mais pour relativiser tout ce qui est parfois écrit et qui n’est pas exact.

Riposte Laïque : Il y a une polémique sur le bilan des victimes. On peut parfois lire qu’il y a eu jusqu’à 100 000 morts. Qu’est-ce que vous pouvez dire sur le bilan réel, et sur les chiffres qui sont avancés de part et d’autre ?

Roger Vétillard : C’est vrai que certains, comme le journal du FLN El Moudjahid, vont jusqu’à dire qu’il y aurait eu 100 000 morts. Les autorités algériennes avancent de façon officielle le chiffre de 45 000. Et tous ceux qui ne sont pas d’accord sont considérés par le régime algérien comme des révisionnistes.

Or, 45 000 c’est énorme. Si on compare avec la guerre d’Espagne qui a duré trois ans et où les forces en présence étaient autrement plus importantes qu’à Sétif ou Guelma et bien, même selon les chiffres donnés par les républicains espagnols, on ne dépasse pas les 50 000 morts. On peut se dire qu’il paraît difficile de faire en 15 jours en Algérie autant de morts qu’en 3 ans en Espagne sur une surface plus petite et bien moins peuplée. Et puis 45 000 morts en 15 jours, ça fait 3000 morts en moyenne par jour. Avec autant de morts, il y aurait des charniers, or on n’en a pas trouvé.

Si on prend la fourchette la plus haute des morts que l’on a pu recenser, on arrive à peine à 10 000. Il y a donc eu moins de 10 000 morts.
Avec la fourchette la plus basse, on parvient à un chiffre de 4 000 morts; bien plus que les 1 200 morts officiellement reconnus depuis 1945 par la France.
Les historiens les plus sérieux s’accordent donc sur une fourchette qui va de 4 000 à 10000 morts. Et faute de mieux, il faut dire qu’il y a eu plusieurs milliers de victimes et que c’est beaucoup trop.

Riposte Laïque : Il y a un contexte politique et géopolitique particulier à ce moment là. La France et le général De Gaulle doivent donner des gages à leurs alliés, et sur la question des colonies, il y a des différents quant à leurs gestions futures.

Roger Vétillard : Oui, en effet. Roosevelt, le président des Etats-Unis, mort un mois avant les événements de Sétif, ne reconnaît pas la légitimité du gouvernement provisoire du Général De Gaulle; il était plus favorable au Général Giraud. Les américains veulent que les pays européens abandonnent leurs colonies pour éventuellement pouvoir les remplacer. On sait aujourd’hui qu’ils ont donné des signes favorables aux indépendantistes. On dit même que Ferhat Abbas aurait rencontré Roosevelt. Pour ma part je ne le crois pas, mais on sait que Robert Murphy, le consul américain à Alger a servi d’intermédiaire entre les indépendantistes et Roosevelt. Certains avancent même que celui-ci aurait laissé entendre aux indépendantistes qu’il interviendrait en cas d’incident sérieux. Et au moment de la révolte, les insurgés disent à ceux qui les écoutent qu’une grande puissance est derrière eux. Mais la mort de Roosevelt un mois avant les événements a peut être modifié un peu les choses.

Riposte Laïque : Le même jour il y a des manifestations en Syrie et au Liban. Ces manifestations ont-elles un rapport avec ce qui se déroule dans l’Ouest Algérien ?

Roger Vétillard : Je ne pense pas qu’il y ait eu un rapport direct. Là bas, le djihad n’a pas été déclaré. Ces pays sont sous mandat Français. La paix revenue, ils sont assurés de retrouver leur indépendance. Dans ces territoires la situation est très confuse entre la France et l’Angleterre qui intervient ouvertement en particulier à Damas.

Riposte Laïque : A Damas, à l’occasion de ces manifestations, des drapeaux à croix gammées sont brandis. Nous savons qu’il existait une alliance entre le régime nazi et le Mufti de Jérusalem.
Est-ce que l’Allemagne va jouer un rôle en Algérie ?

Roger Vétillard : Pas à cette période. L’influence de l’Allemagne se fait sentir dans les années 1941 et 42. Le muphti de Jérusalem, Hadj Amin Al Husseini est très proche d’Hitler et d’Himler. Les nazis vont favoriser la création de mouvements révolutionnaires, notamment le Carna (Comité d’Action Révolutionnaire Nord Africain) dans lequel on retrouvera beaucoup de militants du PPA (Parti du Peuple Algérien) de Messali Hadj. Ils vont d’ailleurs créer une fraction officiellement dissidente influencée par Mohammed-Lamine Debbaghine, un médecin de Sétif qui fut le seul dirigeant important à rester en liberté jusqu’en 1945. On le dit rarement mais il a été traduit en 1947 devant le Conseil de discipline du MTLD (organisation qui avait pris la suite du PPA) pour avoir provoqué la révolte de 1945. Il a avoué que cette révolte était prévue mais pas à ce moment là. Il sera exclu de l’équipe dirigeante de l’organisation.

Riposte Laïque : Dès le début de la colonisation, les gouvernements français successifs vont avoir beaucoup de mal à gérer la question islamique, sans être en contradiction avec les valeurs universalistes et assimilationnistes de la France. Face à tant de difficultés, la France va faire le choix de l’association. Un modèle qui permettra aux musulmans de garder l’ensemble de leurs droits coraniques.

Roger Vétillard : C’est vrai que dès 1830, quand la France débarque en Algérie, elle signe un accord avec les turcs où elle précise qu’elle s’engage à respecter la religion musulmane, ses croyances, ses coutumes, et leur garantit que le droit musulman continuera à s’appliquer. Cet engagement va, je crois, être à l’origine d’une véritable distorsion que vous évoquiez dans votre question. Pendant très longtemps les musulmans ont leur propre justice. Il faut attendre la première guerre mondiale pour qu’un musulman puisse s’adresser, si c’est son souhait, à un représentant de la justice française. Pendant très longtemps, et dans la plupart des situations, c’est le Cadi qui décide de tout.

Napoléon III parlera de royaume arabe en désignant l’Algérie, mais à la fin du second empire, la République de 1871 décide que c’est fini. On est en République et il n’y a pas de place pour un quelconque royaume. En territoire français on doit se plier au droit français, mais le pouvoir va avoir beaucoup de mal à imposer cette règle, ce qui va déboucher sur le code de l’indigénat.

Riposte Laïque : Le pouvoir algérien souhaite que la France soit jugée lors d’un deuxième procès de Nuremberg pour crime contre l’humanité et génocide. Des associations françaises comme les indigènes de la République qui considèrent que l’Etat français applique une politique colonialiste dans les banlieues n’hésitent jamais à faire référence au 8 Mai 1945. On voit bien que cette date recouvre des enjeux politiques des deux côtés de la Méditerranée.

Roger Vétillard : Je crois qu’il faut remonter à la fin des années 80 pour y voir plus clair dans ces histoires.
Il y a d’abord le procès Barbie. Jacques Vergès, l’avocat de Klaus Barbie, n’hésite pas à faire au moment du procès un amalgame entre les crimes de l’humanité attribués aux nazis et les massacres de 1945 dans la région de Sétif. A partir de là, il y a une révision de la notion de crime contre l’humanité qui dépasse la définition qui en avait été donnée à Nuremberg. Guy Pervillé a parfaitement analysé ce virage de la jurisprudence.

Jusqu’alors les historiens algériens (Mahfoud Khaddache, Renouad Ainad-Tabet) ont travaillé avec beaucoup de professionnalisme.
Mais au début des années 90, la situation politique en Algérie est chaotique. Le pays est en état de guerre civile, les islamistes font régner la terreur après que l’armée ait annulé les élections législatives gagnées par le FIS, les Kabyles font entendre de plus en plus fort leur velléité d’indépendance, des gens n’hésitent plus à se dire favorables au rapprochement avec la France (c’est le Parti de la France)… L’Etat algérien est à deux doigts d’exploser. Et là un homme très intelligent, Bachir Boumaza, président du conseil de la Nation, ancien ministre, membre du PPA, responsable du FLN en France pendant la guerre d’Algérie, et originaire de la région de Kherrata, imagine que la seule façon de refaire l’unité du pays, c’est de lui rappeler ce qui s’est passé en 1945.
Pourquoi ?
D’abord, parce que les Kabyles ont été au premier rang de l’insurrection en 1945. On doit donc rappeler leur participation aux combats pour l’indépendance, et leur démontrer qu’ils sont algériens.
Aux islamistes du FIS, il faut leur dire qu’on a fait le Djihad avant eux. Et enfin, aux partisans d’un rapprochement avec la France, il est nécessaire de leur montrer ce que la France a été capable de faire en 1945, et bien sûr en n’hésitant pas à grossir kle trait.

Si le pouvoir Algérien insiste sur ce qui s’est passé à Sétif et à Guelma en 1945, c’est donc en grande partie pour une question de politique intérieure, pour maintenir l’unité du pays. Cette opération est relayée en France par des média français. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le documentaire de Lallaoui et Langlois, diffusé en 1995 sur Arte et qui m’a décidé à faire mon livre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’interview qui conclue le film est celle de Bachir Boumaza, président de la fondation du 8 mai 45 créée en 1990 à Kherrata et dont l’objet est de faire pression pour obtenir une condamnation de la France.

Riposte Laïque : Il est vrai qu’en France ces événements continuent à alimenter la guerre des mémoires. Et celle-ci va très certainement connaître un nouvel épisode avec la sortie du film Les Hors la Loi…

Roger Vétillard : Je n’ai pas vu ce film. Je ne peux donc rien en dire d’objectif. Les premières critiques que l’on peut entendre se fondent sur des commentaires émanant du service historique des armées sur la base d’une version du scénario. Je ne sais pas si cette version est celle qui a été choisie pour réaliser le film, je ne vais donc pas faire de procès d’intention. Si ce n’est qu’un film de fiction, il n’y a pas grand chose à en dire. Si ce film revendique une intention historique, je le verrai en historien avec toute la rigueur qui s’impose. Il faut rappeler que Rachid Bouchareb, le réalisateur a déclaré en juin 2009 à El Watan, quotidien francophone d’Alger « Hors-la-loi va sans doute rétablir une vérité historique confinée dans les coffres ». Cela implique d’accepter une critique des historiens.

Propos recueillis par Jeanne Bourdillon

Roger Vétillard et moi au salon du livre de l'Hôtel D'assezat, Toulouse, 2014Roger Vétillard et moi au salon du livre de l'Hôtel D'assezat, Toulouse,2014

Roger Vétillard et Maurice Calmein, lauréats tous deux des prix des Gourmets du livre, hôtel d'Assezat, Toulouse 2014 - Ph. Maïa Alonso
Roger Vétillard et Maurice Calmein, lauréats tous deux des prix des Gourmets du livre, hôtel d'Assezat, Toulouse 2014 - Ph. Maïa Alonso

Les Pieds-Noirs, ces pelés, des galeux…    Mais une communauté que l'on courtise !

Roger Vétillard (le 31/10/2013) :

Coïncidences? En moins de 4 mois, sont apparus des libellés critiquant voire, pour reprendre un mot à la mode, stigmatisant les pieds-noirs. Imaginons les réactions que de tels faits auraient entraîné si d'aventure un autre groupe humain avait subi le même traitement.

 

Reprenons tout cela 

 

1. Le lundi 8 juillet 2013 dans le journal de France Inter, le journaliste Frédéric Météseau demande à Thomas Guénolé – politologue – de commenter une déclaration de Christian Estrosi, maire de Nice, qui avait dit le même jour sur I Télé et Europe 1 que « les Roms sont souvent des étrangers en situation irrégulière et… qu'à partir du moment où ils envahissent sans droit ni titre et par effraction des terrains de football comme la semaine dernière, je considère que ce sont des délinquants »… 

Réponse de Thomas Guénolé : « C'est un fait que, culturellement, le racisme est quand même plus développé dans le Sud de la France. Cela s'explique en partie, faut dire les choses, par le fait qu'il y a une très forte communauté pied-noir, dans le sud de la France. »

Et quand des correspondants lui demandent de s'expliquer, il dit tout simplement : " Le présentateur du journal m'a demandé pourquoi le racisme semblait plus présent dans le sud de la France. J'ai avancé comme élément d'explication la présence beaucoup plus forte des Pieds-Noirs dans cette partie du pays. Si le journaliste m'avait invité à expliciter mon propos sur ce point, j'aurais signalé le constat historique à l'appui de cette analyse : à savoir que dans la vie politique française, le vote d'extrême-droite est surreprésenté dans l'électorat pied-noir. Pour autant, je n'ai pas dit une ânerie de type " Tous les Pieds-Noirs sont racistes " : ç'aurait été une pure sottise. En effet les contre-exemples sont faciles à trouver : je pense ainsi à Albert Camus."

 

2. Le mercredi 16 octobre, Eva Joly, ancien magistrat, ex-candidate à la présidence de la République, déclare sur I Télé « Si nous ne sommes pas capables d'intégrer quelques dizaines de milliers de Roms alors que nous avons intégré, en 1962-63, un million de pieds-noirs…». Cela entraîne des réactions indignées d'associations de Français d'Algérie, des partis politiques de droite et aussi de responsables socialistes tels Julien Dray.

Et puis, sur le site de la LDH (Ligue des droits de l'homme), un bref article non signé écrit qu'il est difficile de trouver à redire dans ces paroles et conclut que ces déclarations n’ont rien d’un amalgame.

 

3. Le jeudi 17 octobre 2013, Michel Delarche sur son blog  publie un article sous le titre "je ne suis pas raciste, mais…". Bien sûr cela se veut du second degré, mais écrire que « cela fait plus de cinquante ans que ces gens-là [les pieds-noirs] sont arrivés chez nous et ils ne se comportent toujours pas comme des vrais français. Les vieux, ils n'arrêtent jamais de parler de "comme c'était bien là-bas". Mais si c'était mieux "là-bas, ils n'ont qu'à y retourner "là-bas », (il y a 40 lignes du même style), n'est pas complètement candide. Et cela a suscité des réactions dont beaucoup restent au premier degré.

 

4. Faut-il adjoindre à cette liste l'amendement à l'article 33 de la loi de programmation militaire, présenté le 21 octobre 2013 au Sénat par Mme Joëlle Garriaud-Maylam, (née le 20 mars 1955 à Marnia en Algérie, membre du groupe UMP au Sénat) qui exclut les harkis de souche européenne (dont la plupart étaient pieds-noirs) du bénéfice de l'allocation de reconnaissance ? 

 

Que penser de tout cela ?

 

Chacune des déclarations peut faire penser à une expression maladroite. Mais ce qui attire l'attention, c'est la répétition récente d'expressions sans bienveillance et la référence politique insidieuse.

 

Thomas Guénolé se réfère explicitement à l'enquête du CEVIPOF. Cet organisme a publié en Mars 2012, avant les élections présidentielles une étude  sur le vote pied-noir. Au premier tour, 28% des pieds-noirs et 24% de leurs descendants, auraient voté pour la présidente du Front national alors qu'Ils seraient 26% (pieds-noirs) et 31% (descendants) à se prononcer pour François Hollande et 26% (pieds-noirs) auraient voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour, alors que les intentions de vote de leurs descendants en faveur du président sortant plafonnent à 15%. Le total des candidats centristes recueillerait 9% du vote des rapatriés et 14% des voix de leurs descendants.

 

Marine Le Pen a obtenu 17,9% des voix, Nicolas Sarkozy 27,18% et François Hollande 28,63% des voix au 1er tour des dernières élections présidentielles. Ce que l'on peut noter, c'est que les pieds-noirs voteraient proportionnellement comme le reste de la communauté nationale pour Hollande, Sarkozy et les centristes, ce qui indique donc que ce sont les autres candidats d'extrême-gauche qui ne bénéficient pas de leurs voix. Il existerait donc une discrète surreprésentation du vote Fn dans la communauté "pied-noir" aux dépens de l'extrême-gauche, mais est-elle liée comme le pense le politologue à du racisme? 


D'une part, cette surreprésentation n'est pas bien grande, d'autre part il faut intégrer l'histoire et la mémoire de cette communauté qui a eu à souffrir de la responsabilité des gaullistes dans leur exil en 1961-1962, des positions des groupes gauchistes lors de la guerre d'Algérie et à leur arrivée en France, de l'absence de compassion des ONG habituellement promptes à s'émouvoir, alors que Jean-Marie Le Pen et ses amis ont été plus proches d'eux.

 

Les PN sont-ils plus racistes que leurs compatriotes français?

 

Dans une telle affirmation, il y a une part d'ignorance, une part de lieux communs et aussi sinon de mauvaise foi, du moins de raisonnement commode. Il y a pêle-mêle dans cette conception erronée de la vie dans l'Algérie d'avant 1962 un anachronisme évident, une mauvaise connaissance des rapports intercommunautaires, de la vie politique française au siècle dernier et de l'histoire de l'Algérie de 1830 à 1962. 

 

On pourrait faire un cours d'histoire à ce sujet, mais rappelons simplement qu'en 1830, le comte Louis de Bourmont et le dey d'Alger Hussein Pacha ont signé une convention reconnaissant la souveraineté de la France sur l'Algérie. L'article 5 de cet accord garantissait le libre exercice des religions et notamment de la religion musulmane dont les fidèles conservaient leur statut juridique et social, c’est-à-dire qu'ils continuaient à être soumis à la "charia". Dès lors il y avait inévitablement 2 communautés dans le pays, celle qui relevait du droit français (dont la communauté juive à partir de 1871) et l'autre. Et c'est la IIIème République, qui a refusé d'accorder une pleine citoyenneté aux musulmans.

 

La cohabitation des communautés était moins conflictuelle que celle que nous vivons dans certains quartiers de la France d'aujourd'hui. Les fêtes chrétiennes, juives et musulmanes étaient célébrées par tous. Personne ne s'offusquait de voir des femmes voilées dans les espaces publics. En rappelant cela, je veux simplement dire qu'il y avait une tolérance réciproque qu'il est difficile de retrouver aujourd'hui.

 
Il n'y avait pas, comme le confirme Mohammed Harbi – historien nationaliste algérien – un système social qui aurait pu s'apparenter à l'apartheid sud-africain. Bien sûr les uns parlaient des "bougnoules" ou des "bicots" et les autres de "gaouri", de "roumi" ou de "youdi", mais à Bab El Oued, à la Casbah, et dans la plupart des villes de l'intérieur, Européens et indigènes vivaient côte à côte. Les choses étaient autres dans le bled ou dans les grandes villes, là où une communauté était bien plus nombreuse que l'autre.

 

Pourquoi donc les pieds-noirs qui retournent en Algérie sont-ils accueillis avec autant de chaleur? Pourquoi donc les Algériens qui ont vécu en Algérie française recherchent-ils en France le contact avec les Français qui ont traversé la Méditerranée? Les pieds-noirs ont du mal à pardonner à ceux qui les ont chassés de leur pays natal, au FLN et aux dirigeants algériens qui sont toujours au pouvoir. iIs n'en veulent pas au peuple algérien. Ce n'est pas du racisme, c'est plutôt de la rancune.

 

Quant aux propos d'Eva Joly, reconnaissons que comparaison n'est pas raison. Elle qui postulait à la présidence de la République Française, méconnaît l'histoire de son pays d'accueil. Les pieds-noirs sont des Français de souche ou issus de Français naturalisés depuis plusieurs générations. Ils ont montré leur patriotisme au cours des Guerres Mondiales. Ils coulaient rester Français sur leur terre natale. Les circonstances historiques les conduits à se réfugier en France métropolitaine. Ils ont réussi à s'y intégrer en quelques années, même s'ils gardent une nostalgie de leurs jeunes années.

 

Les Roms sont une population venue de l'Inde il y a plus de 9 siècles. Ils sont plus de 10 millions en Europe (Bohémiens, Tziganes, Gypsies, Gitans, Romanichels, Manouches). Ils ont conservé leur langue, leur culture, leur mode de vie. Ils ne connaissent pas les frontières et se définissent comme des "voyageurs" ou des "gens du voyage". Dans les pays où ils sont nombreux, ils ont créé des partis ethniques. Dans plusieurs pays de l'est européen, il y a ou il y a eu dans un passé très récent des ministères chargés des affaires tziganes ou bohémiennes. Pendant la période communiste de ces pays, les Roms furent interdits de bouger, de partir à l’aventure sur les routes et les chemins ; tous à l’usine, aux champs et sur les chantiers. Gare au «parasitisme» qui les conduisait tout droit dans les «camps de rééducation à régime sévère». Pendant un demi-siècle on n’entendit plus parler des Roms de derrière le « Rideau de fer». Et pourtant, 2 générations plus tard, après un demi-siècle de régime soviétique, ils sont revenus à leurs traditions.

 

Vouloir comparer des Français d'Algérie venus ou revenus dans la mère patrie où ils se sont rapidement intégrés n'est pas pertinent. De la part d'un ancien magistrat qui avait pour profession de tenter de faire la part des choses, cette analyse superficielle et simpliste est inquiétante. Madame Joly prouve une nouvelle fois qu'elle n'est pas encore tout à fait intégrée à la culture et à l'histoire de la France.

 

Lorsque la LDH lui emboite le pas, elle ne fait pas une analyse subtile et laisse apparaître tout le parti-pris qui est le sien. Elle démontre qu'elle n'est qu'une entreprise politique nullement préoccupée des droits de l'homme, toute entière tournée dans une dialectique unilatérale et en dépit de sa profession de foi, sans aucune empathie pour un groupe humain déraciné dans la violence.

 

Le texte de Michel Delarge et les réactions suscitées sur son blog, suggèrent plusieurs remarques : se serait-il permis de stigmatiser une autre population, même en employant le second degré ? Sans parler des Roms, des Juifs ou des Arméniens, mais des Portugais ou des Vietnamiens ? Il est trop facile de se réfugier derrière la dérision et l'humour.

 

Les pieds-noirs, quel poids électoral ?

 

Au terme de cette réflexion, on peut identifier la cause de cette nouvelle mode qui met les Pieds-Noirs au centre de l'actualité. L'étude du CEVIPOF est importante : elle met en évidence le poids de l'électorat pied-noir, évalué à 3200 000 personnes, soit 7,3% des votants potentiels. Dans certaines régions ce poids est encore plus important : 15% en Languedoc-Roussillon, 13% en PACA, 11% en Midi-Pyrénées. Et le vote pour le Fn est légèrement surreprésenté. Mais si l'on compare le vote des pieds-noirs dans les régions du sud à ceux des "non pieds-noirs" le différentiel est moins significatif. Et dans les régions du nord ou de l'est le vote pied-noir est peu différent de celui des "non pieds-noirs".

 

Ainsi derrière des remarques en apparence rationnelles, apparaît une préoccupation politique qui compte-tenu de la montée du Fn en 2013 dans les sondages va devoir être révisée.


Lu par Roger Vétillard

Anne Plantagenet, Trois jours à Oran, Stock éd. Paris 2014, 175p 17€
Anne Plantagenet, Trois jours à Oran, Stock éd. Paris 2014, 175p 17€

Roger Vétillard est médecin cancérologue-pneumologue. PAssionné par l'histoire de l'Algérie contemporaine, il y consacre de nombreuses recherches. Ile st l'auteur de "Sétif,mai 1945 : massacre en Algérie" (Editoins de paris, Versalles, 2008) qui a reçu le prix Cornevin de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer (2008).


Anne Plantagenet a publié des romans, des biographies, des nouvelles et de nombreuses traductions de romans espagnols et sud-américains. Elle est fille, petite-fille, arrière-petite-fille de pieds-noirs. A l'adolescence, emportée par l'air du temps, par le récit orienté de ses enseignants d'histoire, elle a honte de ses aïeux, de ces grands-parents qui lui apparaissent racistes et qui vivent dans les souvenirs d'un pays, de traditions et d'une culture appelés à disparaître. Elle milite à SOS racisme et se veut anticolonialiste militante.
Elle est née en France 10 ans après l'indépendance, et un jour de 2005 elle invite son père à retourner à Oran qu'il a quitté 44 ans plus tôt, à l'âge de 17 ans. C'est l'occasion pour elle de découvrir toute l'émotion qui s'empare de cet homme qui n'est plus le même quand il se retrouve dans les rues de La Radieuse, au pays de sa jeunesse. Les Algériens ne sont pas des étrangers pour lui et finalement pour elle. Ces gens sont heureux d'accueillir ces revenants, et devant leur émotion elle a ce mot qui en dit long à propos des Oranais d'aujourd'hui : "ils ont reçu l'Algérie Française en héritage, comme moi". Elle constate que ses grands-parents étaient de petites gens pauvres et nullement des bourgeois aisés.
C'est une autre femme qui revient à Paris. La puissance de ce récit est de décrire avec élégance les états d'âme de son père, si réservé habituellement, mais qui retrouve dans la rue Condorcet de la capitale oranaise une identité refoulée qu'elle analyse comme une souffrance incomprise. Elle parle aussi très librement d'elle, de ses amours et déchirements. C'est une période où elle tourne une page dans sa vie de femme alors qu'elle vient de quitter son mari et un peu aussi son fils pour un autre homme. Passion irrationnelle qui fait écho à la découverte de ses racines.
On note également au hasard des pages, la description de sa grand-mère Montoya récemment décédée à 93 ans à laquelle Anne était très attachée et à laquelle elle finit d'une certaine façon à s'identifier. C'est finalement le récit malheureusement fréquent de ces enfants de pieds-noirs qui ont tant de mal à comprendre leurs parents - souvent parce que ces derniers ont beaucoup de difficultés à s'exprimer sur leur passé comme l'a bien montré Hubert Ripoll - et qui, après l'adolescence et les premières années de leur vie d'adultes, finissent par vouloir en savoir plus sur cette vie d'outre-Méditerranée qui a tant marqué leurs parents toujours habités par une nostalgie indélébile.
Et ici aussi l'histoire révèle qu'entre deux filiations "pied-noir" par le père, italienne et communiste par la mère, c'est finalement le côté paternel qui s'impose chez Anne. La lecture de ce livre renvoie encore au "Sel des Andalouses ", roman de Maurice Calmein où le fils de pied-noir, gauchiste, se retrouve brutalement lié à la terre de ses ancêtres. Et on s'interroge sur l'attrait que la terre algérienne exerce sur tous ceux qui s'y intéresse.

©Roger Vétillard

A propos de ses 2 derniers livres -

« Un regard sur la guerre d'Algérie » Roger Vetillard, Riveneuve éditions, 2016 -  300 pages - 22€

 

L'analyse d'une vingtaine d'événements déterminants permet de mettre en exergue la complexité du conflit qui a mené à l'indépendance de l'Algérie, au-delà de l'affrontement entre le FLN algérien et les colons français. ©Electre 2016

 

La guerre d'Algérie n'est pas seulement l'affrontement de deux projets pour le devenir de l'Algérie, d'un côté le peuple algérien uni derrière le FLN et de l'autre des colons accrochés à leurs privilèges.
Les partisans de Messali (MNA) - qui furent les premiers indépendantistes - ont tenté de tisser des liens avec la puissance coloniale pour une autre idée de la nation algérienne que celle du FLN. Celui-ci les a durement affrontés en Algérie et en France, orchestrant une guerre civile meurtrière entre Algériens.
Certains Algériens étaient favorables au maintien de la présence française dans le pays - 300 000 combattirent dans l'armée française, plus que dans l’ALN - et des dizaines de milliers de fonctionnaires, enseignants ou intellectuels affichaient des sentiments anti-indépendantistes. Certains le payèrent de leur vie. Plus d'un million d'Européens issus de  générations nées en Algérie souhaitaient par ailleurs rester vivre au pays. Nombreux, se sentant trahis par les dirigeants politiques, se sont soulevés contre un abandon plus ou moins programmé et sont entrés ainsi dans un conflit franco-français. Même, des pieds-noirs - très minoritaires il est vrai - se sont rangés du côté du FLN. Cette guerre s'est déroulée sur le territoire algérien, mais aussi en France métropolitaine. Ce fut d’abord une guérilla, rarement une guerre de position, mais ce fut aussi un terrorisme urbain, une guerre civile et une guerre de religion.
A partir d'une vingtaine de moments clés, avec la révélation d’éléments inédits, Roger Vétillard souligne la complexité souvent méconnue de ce conflit. Voilà qui explique que plus d'un demi-siècle après son terme, beaucoup ne considérant qu'un angle, ne se reconnaissent pas dans les autres présentations. Il faut souhaiter qu'un jour une étude contradictoire et sereine puisse être menée pour que les oppositions prennent fin.

 

 

La mort mystérieuse du colonel Halpert, Roger Vétillard (Editions Atlantis, 2016) 92 pages – 15€

 

15 février 1946, le colonel Émile Halpert chargé de juger les insurgés de l’insurrection du 8 mai 1945 dans le Nord-Constantinois, a une entrevue orageuse avec André Le Troquer, ministre de l’Intérieur. Le soir, il est retrouvé sans vie dans sa chambre. Une véritable enquête policière...

 

Le 15 février 1946, le colonel Émile Halpert, commissaire du gouvernement près du Tribu­nal militaire de Constantine chargé de juger les insurgés de l’insurrection du 8 mai 1945 dans le Nord-Constantinois, a une entrevue orageuse avec André Le Troquer, ministre de l’Intérieur.

 

Le soir, Émile Halpert est retrouvé sans vie dans sa chambre d'hôtel : il se serait suicidé. À l'époque, sa mort a été plus ou moins occultée et n’a donné lieu ni à de longs développements journalistiques, ni à des études historiques ultérieures : était-ce un assassinat ou un suicide ?

 

L’auteur, qui a découvert ces faits lors de ses recherches sur les événements de 1945 en Algérie, a repris en détail la vie et la carrière du magistrat, analysé le contexte familial, historique, juridique, politique et psychologique, pour nous livrer ses conclusions. Lors de cette véritable enquête policière, de nombreuses questions sont évoquées, des certitudes apparaissent, des interrogations demeurent.