Mes rencontres... Lovaïna Guirao

Créatrice de parfums à Nouméa

 Les parfums de sa vie

 

 " Le bonheur est un parfum que l'on ne peut verser sur les autres sans en recevoir quelques gouttes. " Saint Augustin.

 

En cette période où se fête la Saint-Valentin, quoi de mieux que d’évoquer l’univers du parfum ? Rencontre avec une jeune créatrice de parfums sur mesure, Lovaïna Guirao, installée depuis un an et demi à la Baie de l’Orphelinat, à Nouméa.

Lovaïna Guirao est polynésienne. Elle est née à Tahiti où ses grands-parents partis d’Algérie en 1962 avaient fini par s’installer peu après. Son grand-père, Jean Michel Guirao était bien connu dans le domaine des lettres à Oran. Ami des intellectuels de l’époque (Roblès, Camus, Feraoun, Audisio…), il y avait fondé la revue littéraire  Simoun.

Quand son père, Patrice Guirao, écrivain et parolier à succès a écrit en 1990 « Les Parfums de sa vie » pour son oncle, Art Mengo (frère de sa maman), Lovaïna était encore une enfant. Elle ne savait pas qu’un jour elle deviendrait  nez  à l’école fondée par Guerlain. A 16 ans, elle découvre sa vocation :

- J'étais partie pour faire astrophysicienne. J'avais l'aspect scientifique mais il me manquait l'aspect créatif et c'est lors d'un heiva – c’est un concours de danse tahitienne-, lorsqu'une cinquantaine de danseuses ont envahi la salle avec leurs couronnes de fleurs que j'ai eu la révélation : c'était dans la parfumerie que je voulais m'orienter. Au départ je voulais être au niveau de la matière première, f aire des plantations de fleurs de papayer ou de pamplemousse et me spécialiser dans l'extraction d'essences. J'ai donc poursuivi mes études en chimie jusqu'en licence pour pouvoir  rentrer à l'école d’ISIPCA  à Versailles.

Créé en 1970 à l’initiative de Jean-Jacques Guerlain et géré depuis 1984 par la Chambre de commerce et d’industrie de Versailles Val d’Oise/Yvelines, le groupe ISIPCA (Institut supérieur international de la parfumerie, de la cosmétique et de l'aromatique alimentaire) accepte chaque année vingt candidats dans l'option parfumerie. Ceux-ci doivent être titulaires d'un diplôme d'études universitaires générales de chimie ou de biochimie (deux années d'études après le diplôme de fin d'études supérieures). Le cursus de formation est alors de deux ans de cours théoriques alternés de stages pratiques dans des sociétés de parfumerie. Il faudra ensuite faire ses preuves sur le terrain. Le chemin idéal de l'aspirant parfumeur est le suivant : assistant parfumeur, parfumeur junior, parfumeur senior et, enfin, chef parfumeur. Rigueur, esprit scientifique, fantaisie : telles sont les qualités qu'exige le monde du parfum, où les postes sont rares. Il y beaucoup d'appelés et peu d'élus. Lovaïna fait partie des élus.

Une fleur des îles

Lovaïna grandit dans les îles, véritables paradis fleuris aux nombreuses variétés de fleurs.  Tous les jours, les polynésiennes se parent d'au moins une fleur portée à l'oreille ou dans un chignon. D'autres se coiffent de couronnes de fleurs en toute occasion et y ajoutent des colliers pour donner un air de fête à leur tenue. Les fleurs sont aussi un signe de bienvenue, comme le constate le touriste qui arrive à l'aéroport de Faa'a où on lui offre le tiaré traditionnel,  fleur blanche au parfum subtil qui rappelle celui du jasmin, devenu un véritable emblème de la Polynésie française. Déjà enfant, Lovaïna jouait avec les fleurs et notamment le tiaré, « fleur de Tahiti » au nom savant de Gardenia taitensis :

- Mon goût pour les senteurs vient effectivement de Tahiti. C'est l'île des parfums, entre les frangipaniers, la fleur de tiaré, l'ylang-ylang... Petite je m'amusais à faire de l'eau parfumée au tiaré, en macérant des fleurs dans de l'eau pendant une journée.

Créer une fragrance originale et précieuse, c’est le rêve de tous les amoureux de parfums. Il faut posséder une sensibilité aux odeurs développée, savoir capter tout ce qui passe à la portée de votre nez, mais pas seulement. A cela, ajouter de la fantaisie et de l’audace et élargir de façon illimitée sa captation sensorielle. Pour s’engager dans cette voie, il faut également être gourmand, c’est une des qualités majeures !

- Les odeurs et le goût sont étroitement liés ! Pourquoi, lorsqu'on a le nez bouché lors d'une grippe ou d'un rhume, les aliments n'ont-ils plus de flaveur ? Quand on s’alimente, les odeurs passent dans le nez par sa partie postérieure (olfaction rétro nasale). Pour faire ce métier, c’est indispensable d’être gourmande et curieuse de découvrir de nouvelles saveurs.

 

Parfum sur mesure

Lovaïna avait une idée très précise de son orientation professionnelle, en entreprenant ses études. Cette fantaisie artistique ajoutée à sa formation scientifique, elle devait en faire son atout premier et c’est ainsi qu’elle s’est spécialisée dans le parfum « sur mesure », non pas pour obéir à la mode actuelle du luxe absolu, mais c’est là véritablement une formule qui correspond à sa personnalité et lui permet de donner libre cours à sa faculté créatrice alliée à son goût de la relation humaine :

- Je ne me retrouvais pas dans la façon de travailler des grandes entreprises, et puis trop de contraintes budgétaires... Tandis qu’avec mon travail en atelier personnalisé…

  Car pour être apte à traduire de façon olfactive et sur mesure un caractère, des émotions, une histoire de vie, pour  ensuite reconstituer la fragrance unique, quelle mémoire et quelle inventivité ne faut-il pas à la créatrice ! Trier dans les milliers de données inscrites et répertoriées dans son cerveau à partir desquelles, Lovaïna va apporter la touche magique… Pourtant, se remémorer ne suffit pas. Elle décode les odeurs et leur langage : Etes-vous sucré ou poivré ? Attiré par ce qui est floral ou capiteux…? Et ainsi toute une longue série de questionnement, qui ressemble au jeu du portrait chinois à partir duquel elle tisse la trame, renoue les fils sensoriels, se fait elle-même fragrance subtile pour venir au rendez-vous du plus secret de l’autre. Il y a comme une fusion des âmes, fugace, intense, décisive :

- J’aime infiniment le rapport humain du « sur mesure », rencontrer la personne là, dans mon univers dont elle découvre la matière première…

La carte aux senteurs

Lovaïna va mettre son art de l’écoute et d’alchimiste au service de l’intéressé motivé, lui, par son amour du parfum authentique ; elle va susciter sa confiance pour obtenir ses aveux les plus enfouis et ensuite, avec les ingrédients qu’elle aura patiemment butinés telle une abeille, enfin réaliser le rêve confié avec ce parfum, comme une carte d’identité sensorielle :  

- Créer le parfum qui lui ressemble ! C’est chaque fois un challenge : inventer autant d’univers de senteurs que d’individus. Et obtenir son regard heureux en récompense.

Elle ajoute avec une grâce désarmante :

- C’est mon inspiration qui me guide…

Le souffle créatif. Cela ne s’explique pas. Tout art a ses mystères. Son antre insondable et secret. En sorcière de lumière et de senteurs, Lovaïna associe fleurs et couleurs, tandis que les huiles essentielles deviennent ses notes de musique. Avec le tout, dans son chaudron magique, elle échafaude une symphonie. Musicienne, aquarelliste, elle est tout cela à la fois. Il ne faut surtout pas se tromper ! Et puis tombe le verdict : 

-  Je suis heureuse quand on me dit " ah oui ça c'est moi!"  

Pas une journée ne ressemble à l’autre. Cette impermanence est propice à sa créativité sans cesse provoquée. Mais une chose est sacrée :

- Pour bien commencer la journée,  un petit déjeuner en amoureux, ça met de bonne humeur, avant d'aller à l'atelier !

Tout devient possible dans son atelier - La carte aux senteurs - un nom qui ressemble à celle qui a préféré devenir artisane indépendante plutôt que  nez  chez un grand parfumeur :  

-  Là aucune journée ne se ressemble, c'est ce que j'aime. Je peux  rencontrer celle ou celui qui est venu  pour son parfum sur mesure. Nous avons un assez long entretien pour déterminer ses goûts et sa personnalité. J’apprécie cet instant où la personne se livre, laisse remonter des rêves oubliés. Alors ce sera pour moi le déclic… La rencontre, c’est vraiment un moment important et déterminant pour créer un parfum qui sera unique…

C’est un vaste panel qui s’offre pour conjuguer l’attente de l’autre avec son envie à elle de composer. Ensuite, étudier quel contenant sera le mieux adapté. Tous ces détails comptent pour Lovaïna qui alchimise la beauté en déclinant un raffinement exacerbé. C’est ainsi que les flacons qui vont renfermer des fragrances personnalisées, donc rares, sont réalisés en verre de Murano, en cristal de Paris, façon 18ème :

- Quand je ne reçois pas, je reste dans mon atelier pour créer soit des parfums pour le corps, soit des parfums d'ambiance avec diffuseurs artisanaux. C’est tout aussi passionnant ! Et puis reste… le reste ! J'ai tout l'aspect communication et compta également à gérer, ou encore le développement de la nouvelle gamme ou de nouveaux produits. L'atelier se trouve sur une  route qui longe la mer... avec une magnifique marina. Donc en repartant,  j'ai droit au coucher de soleil sauf les grosses journées où je finis à la nuit tombée.

Un des lieux les plus beaux du monde

Lovaïna a la grâce et la beauté des filles du sud. Elle a emprunté à ses îles natales du Pacifique  une certaine nonchalance extérieure qui s’architecture délicatement avec un tempérament de feu, héritage méditerranéen. Son irréductible amour de la liberté ne peut souffrir  l’enfermement des grandes capitales où elle a séjourné pour suivre ses études (Australie, Paris). Alors elle a choisi de venir d’établir sur l’un des lieux les plus beaux au monde, la Nouvelle Calédonie :

- Vivre sur une île, ça permet d'avoir du recul, on est moins atteint par le stress. Mais l'inspiration, je la tiens surtout des rencontres avec les gens.

Son atelier ouvre sur la baie de l’Orphelinat qui s’est d’abord appelée baie des Anglais, puis baie de La Bayonnaise du nom d’une corvette en service à cette époque en Nouvelle-Calédonie. En I867, elle fut englobée dans la baie des Pêcheurs, tant les deux baies séparées par la pointe Brunelet, qui n’avait pas encore été agrandie, se confondaient. À partir de 1866 et jusqu’en 1884 des orphelines de l’Impératrice sont accueillies en ce lieu sous la direction des sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Au début du XX° siècle, lors d’une épidémie de peste, l’orphelinat est transformé en lazaret. Puis ces mêmes locaux servirent à accueillir les immigrants javanais venus travailler dans les mines.

La beauté pittoresque du « Caillou ».-

Entre temps, ce secteur devient le siège de plusieurs activités industrielles.

Le quartier abritera aussi, dans une maison qui existe toujours, une fabrique d’huile et de savon créée par les frères Laubeaux, transformée en 1906 en conserverie de viande pour l’orphelinat. L’arrêt de l’activité industrielle, puis le déplacement vers l’île Nou (Nouville, de nos jours) de l’asile de vieillards comme on l’appelait à l’époque, et du dépôt de l’immigration a permis au quartier de l’Orphelinat de prendre, à partir de 1930, un caractère résidentiel qui n’a cessé de s’affirmer depuis.

Des installations de loisirs sportifs, tels que le port de plaisance, le cercle nautique calédonien (CNC), une galerie commerciale propice au shopping contribuent à l’animation de ce quartier du bord de mer. Le remodelage de la berge et du rond-point de l’Ancre de Marine, tout au facilitant la circulation l’agrémentent d’une promenade comprise dans un vaste projet d’aménagements piétonniers permettant à terme de relier les baies entre-elles et au centre-ville.

- Il n’y a pas une journée sans qu’il n’y ait un beau coucher de soleil, un arbre en fleur. L’environnement alimente l’imaginaire. Et pour moi, l’insularité, la mer, l’horizon sont synonymes de liberté, dit Patrice Guirao, également installé en Nouvelle–Calédonie pour être plus proche de ses deux filles, Lovaïna et Sydélia, l’aînée, qui écrit des scénarios de dessins animés pour la télévision française. Une prochaine rencontre en perspective…  

Ateliers olfactifs

Lovaïna propose également des ateliers olfactifs : parcours initiatique au cœur de l’odorat, du goût et du bien-être ; redécouvrir son sens de l’odorat ;  dégustations de thés ; réaliser son propre cosmétique à base de thé pour le bain.

©Maïa Alonso

Reportage publié dans Nananews, le 14 février 2012.


Infos pratiques :

Adresse

3 rue Jules Garnier Baie de l'orphelinat, Nouméa, New Caledonia

 

Téléphone

+687 942331

Adresse électronique

lacarteauxsenteurs@gmail.com

Site web

http://www.lacarteauxsenteurs.net

https://www.facebook.com/pages/La-carte-aux-senteurs/205172302880809

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